De l’attitude des spectateurs des tableaux de Fabien Cateux
et de ce qu’elle révèle de son art
Dans toute exposition artistique, certains visiteurs traversent l’espace sans rien voir, comme si, égarés dans le rayon des lessives d’un supermarché, ils ne savaient pas quoi regarder. Mais, contre toute attente, ces piètres spectateurs eux-mêmes finissent par ralentir le pas devant les tableaux de Fabien, et s’en approchent pour les observer, comme si un champ d’énergie les avait libérés de leur dysharmonie avec le monde et l’art.
Les autres, confiants et ouverts, guidés par les mêmes forces, se sentent d’emblée à l’aise devant ces tableaux, et, comme accueillis par eux, se laissent aller inconsciemment à un comportement de découverte active, lui-même peu respectueux des usages souvent guindés des manifestations artistiques. En effet, devant chacun des tableaux exposés par Fabien, et sans en négliger aucun (car même s’ils l’ont déjà vu, ils perçoivent qu’il y a encore à découvrir), tous se mettent d’abord à se déplacer d’avant en arrière pour mieux voir l’ensemble et le détail, puis, le nez contre la toile, cherchent à en deviner les secrets de fabrication. Enfin, ils se figent, se déconnectent du cadre local, entrent en méditation. Certains, hors de toute retenue, jappent de surprise et de contentement, voire commentent à haute voix leur rencontre avec chaque tableau qui, leur ayant parlé intimement, les aura donc animés bien au-delà de leurs attentes originelles et de leurs attitudes habituelles : en ce sens, par le biais de ses toiles, l’artiste « exprime » d’abord chacun des visiteurs.
Ces comportements successifs prouvent que la peinture de Fabien stimule l’empathie de ses admirateurs, qu’elle les questionne en les laissant eux-mêmes trouver leurs réponses, et, finalement, qu’elle les convie à rechercher une authentique harmonie avec eux-mêmes et le monde. En somme, c’est une peinture libératrice, heuristique et euphorisante.
Avançant et reculant pour voir l’ensemble et le détail des tableaux, il s'effectue corporellement le même travail qu’un zoom photographique. Leur interrogation ne porte pas sur l’identification de ce qu’ils voient, car il s’agit de réalités que tout le monde reconnaît d’emblée, les ayant déjà vues dans la vie quotidienne (un vieux banc, une serre abandonnée, le fronton d’une cheminée en marbre, un bouquet de roses, un ruisselet bondissant, un paysage d’hiver), ou dans des reportages (une vénérable forêt japonaise, la statue exotique d’un Bouddha, le frais brouillard d’une grotte votive en Asie), voire dans des fictions ou des rêves (par exemple un défilé de saltimbanques accompagnés d’animaux fantastiques). Mais cette immédiateté de l’identification se trouve comme contrariée par la mise en valeur discrète (grâce à une savante composition) d’un élément, d’un éclairage, d’une couleur, d’une disproportion ou d’une paradoxale association d’idées, qui introduit une incongruité dont s’étonne l'observateur : quel est cet étrange éclairage bleuté du vieux banc ? D’où viennent ces rayons solaires illuminant l’un la forêt japonaise et l’autre le dos d’un Bouddha doré ? Qui emprunte le microscopique escalier accroché comme à une falaise au fronton de la cheminée de marbre ? De quel espace-temps insoupçonné les saltimbanques font-ils irruption dans notre ici et maintenant ? Où est le tableau : est-il la représentation de la serre (ou du bouquet de roses) ou le tableau qui contient en trompe-l’œil cette illusion de tableau interagissant avec le tableau réel qui la porte et la nourrit, voire parfois s'en anime lui aussi ?
Voilà de quoi y regarder de plus près, d’autant que cette peinture magicienne génère aussi des sons dans les têtes de son public (le souffle du vent, les flonflons joyeux d’une fanfare, le gazouillis harmonieux d’un ruisselet), de même qu’elle y génère des senteurs, des chaleurs et des froidures, des ambiances humides de sous-bois ou de grottes, et qu’elle fait ressentir le contraste entre le grumeleux d’une pierre et le soyeux de la mousse qui la recouvre.
Cette peinture mobilise donc pour nous plusieurs sens, et, chez l’artiste, plusieurs disciplines artistiques, chacune capable de satisfaire des attentes différentes. Et puisque ces tableaux rayonnent d’une suave spiritualité, le public conjugue alternativement deux attitudes : le respect dû à l’art sacré, et le sourire et les rires dus aux espiègleries d’un artiste aussi imaginatif, fantasque et fabulateur qu’un enfant. Ainsi, le spectateur se trouve pris dans un jeu d’illusions, auquel il se laisse prendre en pleine conscience, lâchant prise avec les convenances pour se consacrer à la recherche en lui-même des réponses aux questions que lui posent ces tableaux, certes un peu énigmatiques, voire ésotériques, mais avant tout poétiques