Se haussant ensuite sur la pointe des pieds, le nez contre la toile, puis se déplaçant de façon à profiter des brillances pour tenter de découvrir du relief dans la matière picturale, le spectateur n’en voit jamais aucun et se demande à juste titre comment une peinture aussi lisse, fluide et évanescente peut donner l’illusion de profondeurs, de textures et de couleurs aussi diverses et marquées. Certains amateurs expérimentés, ou élèves de l’artiste lui-même, savent que la réponse suppose la parfaite maîtrise de plusieurs techniques classiques minutieuses et exigeantes, de ce fait devenues rares, notamment celles des glacis, de la juxtaposition-superposition des couleurs complémentaires et du trompe-l’œil.
Les glacis, dont certains à l’ambre (un savoir-faire dont Fabien est l’un des rares enseignants à l’échelle mondiale), magnifient la minutie et l’exactitude du dessin tout en confiant à la couleur (et non à une pâte colorée) le rôle principal de donner l’illusion de la profondeur et de l’énergie qui caractérisent le monde à toutes ses échelles. Cet effet optique, de nature vibratoire, provient d’une savante juxtaposition et superposition des couleurs complémentaires. A son tour, cette vibration s’harmonise avec le caractère liquide, iridescent, éthéré des glacis. Et cette harmonie globale souligne deux dimensions essentielles des tableaux : le temps, notamment le temps long, suspendu ou cyclique, et la spiritualité, dont la symbolique apparaît tantôt immédiate (par la présence de signes religieux et le recours à des lumières sidérales), et tantôt accessible seulement par une réflexion personnelle multipliant les hypothèses, donc les interrogations et les doutes, plutôt que les réponses et les certitudes.
C’est là l’essence même de cet art précieux et sophistiqué qu’est le trompe-l’œil. Fabien, qui en est devenu l’un des maîtres les plus féconds grâce à la richesse de sa réflexion et à la minutie de son travail sur les nuances et les détails, s’en sert pour nous tromper, certes, mais pour notre plus grand plaisir, et, au fond pour nous inviter, souvent avec humour, à douter des faux-semblants en général, et particulièrement de ceux qu’il produit lui-même en virtuose.
Lorsque, finalement, l'observateur se fige devant le tableau auquel il a consacré toute sa curiosité et son attention, c’est d’abord parce que, face à cet art d’illusion, il se demande ce qu’il a vraiment vu, ressenti, retenu. Et ensuite parce qu’il s’interroge sur la relation qui s’est établie entre le peintre et lui-même, son interlocuteur privilégié.
Ce que l'on a vu, de quelle vérité du monde était-ce la représentation ? De la stabilité de ses lois et de ses mécanismes, ou au contraire de l’imprévisibilité de ses variations ? De cette nature omniprésente dans l’œuvre de Fabien, a-t-on ressenti la pureté originelle ou l’artificialité, l’énergie ou la fragilité, la matérialité ou l’essence spirituelle ? De ce temps évoqué par l’artiste, a-t-on retenu la charge nostalgique d’un paradis perdu, ou la confiance enchanteresse en un avenir radieux ? De cet espace à plusieurs échelles (du macrocosme au microcosme), a-t-on saisi la profonde unité harmonique, ou, au contraire, l’irréductible fragmentation ? Enfin, ces représentations pensées et produites par un maître du trompe-l’œil participent-elles d’un jeu d’esprit d’inspiration enfantine et surréaliste, ou d’une intronisation aux grands mystères du cosmos ? S’agirait-il d’un art virtuose du trompe-l’esprit, ou d’un « divertissement problématique », comme le disait Mario Vargas Llosa de son œuvre littéraire ?
Aux questionnements sur le sens des tableaux, on s’aperçoit vite que leur créateur suggère souvent plusieurs réponses, mais n’en impose jamais aucune : l’artiste partage ses hypothèses et ses doutes, mais garde pour lui ses convictions. Ainsi, comprend-on que, au moyen de ses tableaux, Fabien nous donne la place d’ultimes décideurs des réponses et des interprétations. Une relation personnelle s’établit ainsi en toute intimité : l’artiste, ne cherchant ni à convaincre ni à enseigner, ne se place pas en surplomb, mais nous propose une relation d’égalité fraternelle (quant au sens, car pour la technique, la relation est indiscutablement… magistrale !)